Le parcours de Careem
Uber, la société américaine, a annoncé l’acquisition de Careem, une entreprise spécialisée dans la réservation de véhicules et la livraison au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, pour un montant de 3,1 milliards de dollars. Dans ce rapport, nous mettons en lumière les dimensions de cet accord et ses impacts sur le secteur de l’entrepreneuriat dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Le début du parcours
En juillet 2012, alors que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord vivaient les conséquences du printemps arabe, qui a poussé de nombreux investisseurs, tant de la région qu’à l’extérieur, à rechercher des zones plus stables et sûres, Mudassir Sheikha, un Pakistanais, et Magnus Olsson, un Suédois, ont fondé à Dubaï la société Careem, spécialisée dans la réservation de véhicules et la livraison. Ils furent ensuite rejoints par l’ingénieur saoudien Abdullah Elyas. Mudassir et Magnus avaient travaillé ensemble pendant 5 ans chez McKinsey & Company, une société de conseil aux Émirats arabes unis, avant que Magnus ne soit atteint d’une rupture d’anévrisme cérébral, ce qui l’a amené à changer ses plans. Ils ont tous deux quitté leur emploi et fondé Careem, avec l’ambition que ce projet fasse une différence dans la vie des gens, change la région et améliore la qualité de vie.
Le premier parcours
Careem a commencé son premier parcours il y a 7 ans dans 4 villes, avec une équipe de 15 employés et seulement mille chauffeurs. En poursuivant ce parcours, Careem dessert aujourd’hui 120 villes avec une équipe d’un million de chauffeurs, qui transportent plus de 30 millions de clients à destination. En plus du secteur du transport, Careem opère également dans le domaine de la livraison de nourriture, ayant lancé il y a quelques mois le service Careem Now, ainsi que les services Careem Bus pour le transport collectif et Careem Wallet, un portefeuille électronique permettant aux utilisateurs de transférer de l’argent entre eux.
La mafia de Careem
Depuis ses débuts, Careem s’est concentrée sur l’innovation technologique sur mesure et sur le développement de ses solutions, en mettant également l’accent sur le développement des ressources humaines. L’équipe de Careem comprend 30 nationalités dans toutes les branches de l’entreprise. La générosité de Careem envers ses employés est devenue évidente après l’acquisition, avec un plan de distribution d’actions généreux qui a permis à 75 employés de rejoindre le club des millionnaires, et 200 autres employés recevront un quart de million de dollars, y compris des employés qui ont quitté l’entreprise mais ont conservé leurs actions. Cette situation a conduit Fadi Ghandour, entrepreneur et investisseur dans Careem, à prévoir une nouvelle vague d’entrepreneuriat au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il estime que cette affluence de liquidités chez les employés de Careem créera de nouvelles voies pour générer de la richesse, en dehors des méthodes traditionnelles telles que l’héritage ou les entreprises familiales, et que la région est prête pour un modèle de « Careem Mafia », similaire à la « PayPal Mafia » qui a émergé dans la Silicon Valley au début des années 2000.
Un parcours inachevé
Bien que Wamda Capital, dirigée par l’entrepreneur Fadi Ghandour, ait réalisé d’importants profits, Fadi Ghandour ne cache pas sa déception vis-à-vis de l’acquisition. Il estime que cette opération renforce l’idée que la région ne peut pas accueillir une entreprise d’une valeur de milliard de dollars, connue sous le nom de « Unicorn« . Fadi Ghandour aurait préféré que Careem entre en bourse et reste indépendante, ce qui aurait constitué une preuve majeure de la maturité de l’écosystème technologique dans la région.
Il convient de rappeler que l’acquisition de Maktoob par Yahoo il y a 10 ans, pour un montant estimé à plus de 100 millions de dollars, était alors la plus grande acquisition dans la région. Par coïncidence, l’entrepreneur jordanien Fadi Ghandour était également partenaire de Maktoob et investisseur dans Careem, qui ont tous deux commencé avec le même investissement initial de 100 000 dollars.
Un parcours court et un grand profit
En décembre 2017, Careem a été classée comme la première entreprise au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à atteindre une valorisation de 1 milliard de dollars, devenant ainsi un « Unicorn« . Cette réussite a été rendue possible par des cycles d’investissement hybrides entre les fonds de capital-risque, les conglomérats et les entreprises familiales de la région. Par exemple, le fonds STC Ventures Fund, dont Saudi Telecom Company est le principal investisseur, réalisera un profit supérieur à 160 fois son investissement initial dans Careem, effectué un an après son lancement. De même, Al Tayyar Travel Group obtiendra plus de 100 fois son investissement initial dans Careem, réalisé il y a 4 ans, et cela s’applique également aux autres investisseurs de Careem.
Fin du parcours… ou début d’un nouveau ?
Bien que Careem soit désormais entièrement détenue par Uber, elle a réussi à conserver une voix forte au sein du conseil d’administration, qui sera composé de directeurs indépendants d’Uber et de Careem, et elle continuera d’opérer sous la marque Careem. L’observateur stratégique du mouvement de l’entreprise américaine Uber constate clairement qu’elle a trouvé dans la région arabe un terrain propice à l’acquisition. Uber a quitté la Chine en raison de la concurrence féroce de Didi Chuxing, ce qui l’a conduit à céder le marché en échange d’une participation de 17,5 % dans la société chinoise. De même, en Asie du Sud-Est, Uber a dû quitter le marché pour Grab, le principal opérateur de transport partagé, en échange d’une participation de 27,5 % dans la société, ce qui a poussé certains experts économiques à estimer que Careem a pris une décision précipitée, car les perspectives d’expansion au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont prometteuses compte tenu de la croissance soutenue du secteur du transport partagé.
Quant aux répercussions de cette acquisition sur le marché et l’utilisateur final, des défis se profilent à l’horizon, notamment en ce qui concerne le risque de monopole dû à l’absence de concurrence, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les prix et la qualité du service.
Alors, cette acquisition marque-t-elle la fin du parcours pour Careem, ou le début d’un nouveau voyage vers le succès ?